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Classification des sols et des roches à partir d’essais d’expansion cylindrique en haute pression

J.P. BAUD - Eurogéo, Avrainville, France
M. GAMBIN – Apageo, Magny les Hameaux, France

Résumé

Les propriétés physiques et mécaniques utilisées pour caractériser les sols et les roches sont différentes selon les approches et les objectifs, ceux de la géotechnique, de la géologie de l’ingénieur ou de la mécanique des roches. Les auteurs suggèrent que les mesures faites lors de l’expansion de la cavité cylindrique d’un forage, et qui peuvent se ramener aux deux paramètres fondamentaux, un module pressiométrique et une pression limite, soient utilisés pour une classification passant sans discontinuité des sols aux roches, fondée sur le diagramme Pressiorama® mis au point pour les sols il y a quelques années.

Introduction, la frontière entre sols et roches est-elle utile ?

Définir une limite entre les sols et les roches est une démarche qui semble naturelle à tout homme, de l’agriculteur néolithique au bâtisseur du XXIème siècle, et qui pourtant reste une démarche sinon subjective du moins contingente, fonction de la perception d’usage du matériau naturel sur lequel il évolue et avec lequel il se mesure. Pour le géologue depuis l’émergence de cette discipline, tous les constituants de l’écorce terrestre sont des roches, de l’eau à la matière des socles continentaux, indépendamment donc de leur état, solide ou liquide voire gazeux. Toutes ces roches ont des histoires et des devenirs particuliers, plus ou moins essentiels au développement mondial plus ou moins durable, à l’exemple du pétrole, « l’huile-de-pierre ». Pour tout constructeur, cette classification globale est incongrue, et la roche se distingue par son caractère solide des sols qui sont tous les terrains qui ne sont pas roches, et caractérisés par leur manque plus ou moins marqué de solidité : altérables, terrassables, friables, compressibles, mous jusqu’à la limite de la liquidité. Historiquement, la définition de Terzaghi [1], à la double culture de géologue et d’ingénieur, institue la limite mécanique entre sols et roches : « Le sol est un agrégat naturel de grains minéraux qui peuvent être séparés par de légères actions mécaniques telles que l’agitation dans de l’eau. La roche au contraire est un agrégat naturel de grains minéraux liés par des forces de cohésion fortes et permanentes. Comme ces termes « fort » et « permanent » sont sujets à diverses interprétations, la distinction entre le sol et la roche est nécessairement arbitraire. En fait, il y a beaucoup d’agrégats naturels de grains minéraux qui sont difficiles à classer, soit comme sols, soit comme roches » [1]. Figure 1. Cycle de la matière minérale (et organique) des roches aux sols. Un des objectifs du colloque d’Athènes 2011 est de s’intéresser aux terrains dont le champ d’action est revendiqué à la fois par la mécanique des sols et la mécanique des roches. Et bien que les spécialistes des deux disciplines soient le plus souvent dans des rapports cordiaux et fructueux, et développent leur expertise dans le cadre de lois physiques universelles, la revendication va parfois jusqu’à contester à l’autre la pertinence de son approche : « Une forte cohésion et une fissuration développée, deux critères souvent cités pour les roches, restent insuffisants. La séparation entre sols et roches dépend beaucoup de l’école de pensée et du domaine d’expérience de l’ingénieur ; les congrès qui ont tenté de regrouper les sols raides et les roches tendres n’ont fait qu’ajouter à la confusion. C’est à la géologie qu’il appartiendrait de faciliter une clarification. » [2]. Le schéma ci-après (Figure 1) se base donc sur la distinction que fait la géologie classique, avant la tectonique des plaques, entre les facteurs de formation des roches de l’écorce terrestre, ou géodynamique interne, et les facteurs de dégradation des roches et recomposition des roches sédimentaires, ou géodynamique externe.

Figure 1

C’est, en première approximation, ce qui forme frontière entre les domaines de la mécanique des roches et de la mécanique des sols. Le cycle géologiquement très long d’une particule minérale, par exemple un grain de silice magmatique au sein d’un granite, devenant grain d’un sable de plage avant de retourner à la base de l’écorce terrestre, le conduit à être composant de roches et de sols de résistances mécaniques extrêmes, symbolisées en marge du schéma par le module de cisaillement de ces formations. La caractéristique génétique essentielle des roches, c’est la liaison de plus en plus forte entre les grains qui la composent, par cimentation au cours de la diagénèse des roches sédimentaires, cristallisation ou recristallisation des roches métamorphiques et magmatiques. Leur devenir à la surface du Globe, c’est la destruction de ces structures fortes, progressive jusqu’à la juxtaposition de grains sans liaisons. Vouloir comparer les caractéristiques mécaniques d’un sol très raide et d’une roche assez altérée, même si elles semblent presque identiques, doit se faire en gardant en perspective le fait qu’elles sont aux antipodes de ce cycle.

Caractérisation des sols et des roches par les paramètres pressiométriques classiques

La loi de comportement de tout matériau soumis à l’expansion d’une cavité cylindrique peut se ramener essentiellement à une règle hyperbolique assez simple [4]. Dans les sols les deux paramètres fondamentaux EM et p*LM (module pressiométrique et pression limite) qui s’en déduisent permettent une classification des sols, en raison de la relation étroite entre le rapport EM/p*LM, et le type de comportement des sols, entre les pôles extrêmes sableux et argileux, fonction de la proportion et de la granulométrie des composants des sols. Cette classification est illustrée par exemple dans le diagramme Pressiorama® [5], et elle est totalement liée au coefficient de structure défini par Ménard comme le rapport EM/E où E serait un « module d’Young » acceptable [6] [7]. Le devenir de cette classification, et la pertinence du coefficient de structure des sols, est une question qui se pose lorsque l’essai pressiométrique est appliqué à des « sols » de plus en plus raides, qui peuvent être, soit des terrains sédimentaires dans un état de consolidation géostatique élevé, soit des roches dans un état d’altération et de décompression plus ou moins avancé, ou des roches moins altérées, fracturées ou peu fracturées et enfin aux roches massives.

Le comportement pressiométrique des sols indures, des roches tendres et des roches massives

La loi de comportement hyperbolique des sols soumis à un essai de chargement radial, correspond à la mesure globale de la déformation de la paroi sous la contrainte de cisaillement que subit le sol. Le réarrangement des grains au cours de la déformation et de la généralisation de la rupture à une zone de sol, est un phénomène dont le principe est bien établi et compréhensible [6] [7], même si le détail de son apparition et de ses modalités suivant les sols fera encore longtemps l’objet de recherches géomécaniques. Lors du passage progressif à des sols de plus en plus indurés, à des roches altérées, et à des roches fracturées, le comportement en expansion radiale des terrains ne change pas brutalement de nature, mais l’échelle des contraintes associées change progressivement d’une ou deux puissances de 10 par rapport aux sols « meubles », et la limitation des essais à 5 MPa due au matériel disponible ne permet plus que d’accéder à la phase initiale des déformations. L’essai ne comporte alors que la mesure d’un module sur cette plage limitée de contraintes, sans connaissance de la pression limite de l’évolution du module sous contraintes plus élevées. La mise au point de matériel pressiométrique rendant possible d’atteindre des pressions d’essai de 25 MPa [8], on peut commencer à entrevoir si le mode de rupture des matériaux situés dans la plage de pressions commune entre sols et roches reste comparable à celui des sols.

Mode de cisaillement et de rupture des sols indurés et des roches

L’accroissement du rapport EM/p*LM avec p*LM est une observation courante. Sur la courbe pressiométrique cela correspond à une augmentation du rayon de courbure des tracés, et à une tendance pour le coefficient de structure des sols très indurés à se rapprocher de 1 ; autrement dit dans les roches massives non fracturées, il est d’usage de penser que l’essai d’expansion mesure directement un module d’Young : - la cimentation entre leurs composants minéraux limite un réarrangement de ces minéraux sous les contraintes de cisaillement fortes ; - la densité, la continuité, l’ouverture et l’état de surface des épontes, et le remplissage de cette fracturation influencent la déformation de la paroi d’un forage en expansion radiale.

Comportement pressiométrique des roches altérées ou fracturées

La fracturation des roches se manifeste sur la courbe pressiométrique de façon très claire, par la présence d’une très longue phase de diminution de la pente de la courbe lors de l’augmentation de la pression, qui correspond à la fermeture progressive des fissures proches du forage, puis la prise en compte par l’essai de fissures de plus en plus éloignées du forage. Quelle que soit la pression finale atteinte, entre 5 et 25 MPa, on trouve comme pour les essais pressiométriques standards, trois types de courbes d’essai au moment de leur interruption : celles qui sont encore en phase de fermetures des fissures et de diminution de la pente DV/DP, celles pour lesquelles un point d’inflexion a été passé avec croissance de DV/DP sans fluage, et enfin celles pour lesquelles apparaît en fin d’essai une amorce de fluage et de plus grandes déformations.

Figure 2

Ces 3 types de courbes permettent une classification basique :

  • roches massives plus ou moins fracturées ;
  • roches fracturées et altérées, mais dont la matrice rocheuse reste peu compressible ;
  • roches altérées et décomposées évoluant en un comportement de type sol.

Passage sol indure / roche tendre et roches altérée / sol : progressif ou brutal ?

Utilisation du diagramme spectral [EM/p*LM , p*LM] pour visualiser la transition sols-roches 

Nous proposons, à titre de cadre de réflexion, l’extension au domaine des pressions d’essai supérieures à 10 MPa, le diagramme spectral [EM/p*LM , p*LM] ou Pressiorama® que nous utilisons habituellement dans les campagnes de reconnaissance au pressiomètre [5], d’une part pour détecter les anomalies dans la réalisation des essais ou dans le sol proprement dit, et surtout pour classer les terrains rencontrés. Les cas réels de sols très indurés et roches altérées que nous pouvons positionner dans cette extension du diagramme au domaine rocheux sont assez nombreux jusqu’à des pressions limites extrapolées vers 15 à 18 MPa. Au-delà, les premiers essais Hyperpac [8] nous donnent des points à 25 MPa et permettent d’envisager des extrapolations possibles de pressions limites jusque vers 30 à 40 MPa, si du moins la corrélation pF-pLM des sols reste validée. Au-delà encore, les essais au dilatomètre réinterprétés selon la méthode pressiométrique peuvent donner des modules EM supérieurs à 105 MPa, mais dans ce type d’essai on est très loin de l’estimation de la pression limite [9].

Rupture fragile ou ductile en essais d’expansion in situ

Les exemples précédents montrent que, lorsque l’on peut pousser suffisamment loin en pression l’essai de type pressiométrique, les terrains raides ou rocheux suffisamment tendres présentent un comportement assez peu différent des sols, avec une phase de fluage et de grandes déformations. La différence notable est la tendance à l’augmentation du rapport EM/p*LM avec la pression limite, qui dépasse rapidement les valeurs usuelles des sols meubles, pour atteindre 50 ou 100, et même 200. Les courbes pressiométriques correspondant à de telles valeurs élevées de EM/p*LM présentent une « pliure » de plus en plus nette entre les deux phases, avant et après apparition du fluage.

Figure 3

Au fur et à mesure de la progression des investigations vers les roches massives, il semble apparaître que le comportement du matériau se rapproche du type « fragile » dans lequel la rupture se produirait pratiquement sans prémices au terme d’une plage quasi-élastique. Cette intuition est généralement partagée, par exemple par la crainte exprimée à l’encontre d’essais à 25 MPa dans le béton (cas de pieux ou de colonnes), et Ménard lui-même envisageait « d’éclater » la roche [10]. Pour l’instant, même dans les meJ.P. Baud and M. Gambin / Classification des sols et des roches à partir d’essais d’expansion cylindrique 329 sures poussées à 25 MPa, ce type de comportement n’a pas été observé, et tous les matériaux testés présentent un fluage progressif annonçant le début d’une phase de rupture. A des pressions supérieures, la rupture de la roche par expansion en forage peut être obtenue, de façon industrielle, par les procédés d’injection de mousse expansive sous pression (tel le procédé DMX de Colas-Rail). Dans ce type d’arrachement de zones rocheuses proches de la surface d’un front de taille, avec mise en pression rapide sous environ 50 à 60 MPa, on peut observer deux modes distincts de rupture du rocher : la plus fréquente est la décomposition immédiate en blocs polyédriques découpés par l’ouverture de fractures fermées préexistantes ; plus rarement, dans les roches moins fissurées, l’expansion provoque un déplacement de la paroi pendant quelques secondes, avant un émiettement de la masse rocheuses en éléments dont toutes les faces ne sont pas planes et semblent correspondre à l’ouverture de joints intergranulaires (Delaporte, communication orale, [11]). L’état des connaissances sur la rupture sous contrainte triaxiale d’échantillons de roches non fracturés, et sur la résistance au glissement des joints rocheux est résumé par Parriaux [12] et détaillé dans une abondante bibliographie par Al Bied [13]. La rupture de la matrice se fait par apparition de bandes de cisaillement dans les zones de concentration de contraintes. Au cours d’un essai d’expansion sous très haute pression, le confinement assuré par la masse rocheuse environnante devrait donc conduire à une rupture combinant à la fois la mise en jeu des glissements selon les joints préexistants, et la formation près de la paroi de bandes de cisaillement, permettant de garder dans les roches la notion de pression de fluage pressiométrique.

Conclusion provisoire et développements futurs

La mise au point récente de matériel d’essais d’expansion en forage à 25 MPa doit encore donner lieu à des mesures dans des conditions de terrain variées pour que le retour d’expérience vienne étayer les hypothèses faites ici sur la rupture des roches par cisaillement. Nous envisageons assez rapidement de porter les pressions d’essai jusque vers 50 MPa. Le diagramme de classification continue des sols et des roches par les valeurs pressiométriques nous sert de cadre pour ces travaux, ainsi que la mise au point parallèlement, de lignes d’isovaleurs du coefficient rhéologique compatibles avec la pratique des méthodes pressiométriques Ménard [7].

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