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Analyse des résultats pressiométriques Ménard dans un diagramme spectral

RÉSUMÉ –

Les règles d’utilisation des valeurs du module EM et de la pression limite P*LM dans la méthode pressiométrique demandent à l’utilisateur de prendre en considération le ratio EM/P*LM pour faire une classification des sols, et notamment se fixer la valeur du coefficient rhéologique α, une décision dont la conséquence est importante pour les prévisions de tassement et autres déformations. La représentation graphique proposée a été une aide pour ce choix depuis plus d’une dizaine d’année.

1. Caractère fondamental du ratio entre EM et PLM et du coefficient rhéologique α

Louis Ménard a choisi de définir à partir de l’essai pressiométrique le module de déformation qui porte aujourd’hui son nom en lieu et place du module de cisaillement qui résulte directement de l’équation de l’expansion d’une cavité cylindrique dans un milieu élastique (Lamé, 1852) :

formule

  • G est le module de cisaillement pour la plage des sollicitations provoquées,
  • R est le rayon de la section droite du trou, 
  • ∆R dénote l’accroissement de ce rayon en fonction d’un accroissement de pression ∆p à la paroi de la cavité,
    en choisissant pour le coefficient de Poisson qui lie entre elles les déformations orthogonales la valeur fixe conventionnelle ν =1/3 pour les sols.

Il a également insisté sur l’importance du lien qui existe entre la vitesse de déformation et la résistance à la rupture d’un sol, que la réduction de l’essai pressiométrique à la mesure de ses deux paramètres EM et PLM risquait de faire perdre de vue. Il a définit par le ratio EM/PLM sans dimension le type de comportement du sol, mis en relation avec le coefficient rhéologique α, tel que α = EM/Ey, dans un tableau aidant à la décision sur la valeur de α en fonction de EM/PLM et de la nature du sol (Ménard et Rousseau, 1962).

Jusqu’à ce jour, aucune méthode de détermination plus précise de α n’a été proposée. On aurait pu par exemple attendre ceci de comparaisons systématiques entre mesures de modules pressiométriques et oedométriques, sujet sur lequel les publications de résultats expérimentaux restent sporadiques et en ne perdant pas de vue que le module oedométrique est variable selon la plage des pressions pour laquelle il est défini.

La gamme des valeurs que peut prendre le rapport EM/PLM pour des essais pressiométriques courants est relativement limitée : les valeurs extrêmes du tableau original de Ménard vont de 6 (sables et graviers normalement consolidés) à 16 (argile surconsolidée), et l’idée que la moyenne est de 10 est suffisamment accréditée pour que les essais qui s’écartent trop de cette moyenne soient parfois jugés douteux. Et en effet, le remaniement d’un anneau de sol autour du forage aura tendance à faire chuter fortement le rapport EM/PLM, tandis que le fonçage abusif de la sonde en sol argileux fait monter la pression interstitielle et augmente artificiellement le rapport EM/PLM qui peut atteindre des valeurs élevées ou très élevées.

Autrement dit, en dehors de ces cas détectables sur la conduite de l’essai et surtout du forage, la corrélation entre EM et PLM reste souvent forte.

2. Intérêt d’une représentation graphique

2.1. Graphe de EM en fonction de PLM  

La représentation graphique de EM en ordonnées en fonction de PLM en abcisses d’un grand nombre d’essais dans des sols et roches altérées (figure 1a) est peu utile pour différencier entre eux des essais, mais montre cette concentration des points représentatifs.

Figure 1

Une représentation [log(PLM), log(EM)] différencie un peu mieux les points représentatifs (figure 1b), lesquels restent cependant groupés dans la bande étroite entre EM /P*LM = 5 et EM /P*LM = 20, qui deviennent dans ce référentiel bi-logarithmique des droites parallèles.

Figure 2

2.2. Graphe de EM / P*LM en fonction de P*LM 

Pour distinguer visuellement les points représentatifs d’essais pressiométriques dans un diagramme plus « étalé », nous proposons de reporter systématiquement les points représentatifs des essais pressiométriques d’un même sol, d’un même forage ou d’un même site, dans un diagramme bi-logarithmique [log(EM / P*LM) , log(P*LM)], que nous appellerons « diagramme pressiométrique spectral ® ». Ce diagramme (figure 2) permet en effet de bien représenter la large gamme des valeurs que peuvent prendre ces deux paramètres :

  • l’un sans dimension, EM / P*LM, indice de consolidation du sol ;
  • l’autre en unités de contraintes, la pression limite nette P*LM 
Figure 3

Cette nouvelle forme de diagramme représente les mêmes points d’un grand nombre d’essais divers, sinon disparates du point de vue des natures de sols, avec les conventions de sémiologie graphique suivantes liées aux échelles logarithmiques, à la compatibilité avec les formats usuels de papiers ou d’écrans (avec la convention soit « portrait », soit « paysage »), et au souci de placer la gamme des valeurs habituelles des sols et roches altérées au centre du graphique :

  • verticalement, 2 modules logarithmiques pour EM/ P*LM de 1 à 100
  • horizontalement, 3 modules logarithmiques pour P*LM de 0,01 MPa à 10 MPa ;
  • en haut, vers les fortes valeurs de EM/ P*LM, la ligne droite [10 / 0,01MPa , 100 / 10MPa] est une frontière « naturelle » qui ne devrait normalement pas être franchie par des essais pressiométriques usuels ;
  • en bas, vers les faibles valeurs, la frontière physique est EM/ P*LM = 4 ;
  • à gauche, vers les faibles P*LM, des valeurs inférieures à 0,01MPa sont difficilement mesurables et leur représentation n’a plus d’intérêt ;
  • à droite, la prolongation du graphique par 1 module logarithmique (P*LM jusqu’à 100 MPa) voire 2 modules est envisageable mais le diagramme entre alors dans le domaine de la mécanique des roches ;
  • par convention, le graphe est dans une proportion de 1,15 / 1 (2/√ 3 pour 1) ;
  • les lignes d’indexation des modules pressiométriques sont des droites parallèles en espacements logarithmiques, et visuellement perpendiculaires à la frontière supérieure du graphe dans la configuration convenue.

Le nuage de points représentatifs d’essais divers se montre effectivement centré près de la valeur « pivot » [P*LM =1 MPa , EM/ P*LM = 10], et l’écart des points autour de cette valeur est facile à appréhender visuellement.

Les essais à EM/ P*LM inférieurs à 10 ne sont pas à écarter sans discernement ; d’une part les sols granulaires sans cohésion donnent bien des courbes pressiométriques à faible concavité, pour lesquelles un module sécant de l’ordre de la moitié de la plage de pressions correspond à des valeurs faibles pour le ratio, d’autre part pour de tels essais qui ne présentent pas de partie pseudo-linéaire, les différences d’interprétation sur le module sont importantes, avec une tendance à une augmentation artificielle du module pour le conformer à une valeur recherchée vers le haut.

La limite indiquée EM/ P*LM = 4 peut paraître faible, sinon laxiste. On démontre simplement que c’est la limite basse fixée par définition à un sol granulaire lâche à indice des vides maximal, dont la réaction est linéaire de p0 à PLM ; de tels cas existent pour un sable propre déversé par pluviation, ou des granulats clapés sous l’eau, par exemple. Quelle que soit la pression limite qui est alors fonction de la masse de sol au-dessus de l’essai, le rapport EM/ P*LM est tel que GM = (Vp+Vp/2) . PLM/Vp soit GM =1,5 PLM et puisque EM=8/3GM, EM = 4 PLM. Enfin EM/ P*LM est toujours un peu, voire beaucoup, plus faible que EM/ P*LM.

3. Intérêt du diagramme pressiométrique spectral ®

La représentation des résultats d’essais pressiométriques par des points dans un diagramme n’apporte pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux qui sont contenus dans des logs de forage pressiométriques, sur lesquels le rapport EM/ P*LM est explicite ou implicite. Mais le rassemblement de résultats sur un même support permet une visualisation qui aide à la synthèse.

3.1. Intérêt pédagogique

La construction du diagramme avait été faite initialement dans le but d’expliquer à des étudiants en géologie, débutants en géotechnique, la gamme des valeurs que pouvait présenter les modules EM et pressions limites pressiométriques P*LM dans les sols et les roches (Baud, 1991).

La figure 3 illustre la présentation dans ce diagramme, étendu au domaine rocheux (P*LM jusqu’à 100MPa), des notions de classification des sols et roches, de comportement argileux ou sableux de la réponse pressiométrique, de qualification dans le langage courant de la compressibilité ou de la raideur des sols (mou, meuble, raide, rocheux), et d’appréciation par EM et P*LM du degré de consolidation.

Figure 4

3.2. Place des catégories « réglementaires » de sols dans le diagramme

Les règles d’utilisation des résultats pressiométriques en vue du dimensionnement des fondations superficielles et profondes (AFNOR 1993 ; MELT 1993) comportent pour l’ingénieur le choix du classement des valeurs des paramètres mesurés dans des catégories de sols très simplifiées, définies à partir de la classification LCPC d’une part, et des valeurs pressiométriques obtenues (essentiellement PLM) elle-mêmes d’autre part. Bien que le module EM ne serve pas explicitement à cette catégorisation, l’examen des résultats dans le diagramme spectral ® peut apporter une aide à la décision. La figure 4 est une tentative d’aller plus loin dans cette catégorisation, selon le tableau 3 de l’annexe E1 du Fascicule 62, Titre V.


Figure 5

A l’aide de ce diagramme, il est ainsi possible de préciser les coupures des « couches » qui correspondent à des groupes de valeurs homogènes dans un dimensionnement de pieux.

3.3 Modélisation d’un site en étude géotechnique

L’utilisation du diagramme pressiométrique spectral® s’est révélé extrêmement utile pour l’analyse de campagnes pressiométriques complètes, pour lesquelles l’analyse statistique des données pressiométriques et le travail sur des moyennes est une méthode habituelle. Le regroupement ou l’étalement dans le diagramme des points caractérisant des formations réputées identiques lithologiquement, permet de vérifier leur degré d’homogénéité, de façon à découper des sous-ensembles suffisamment homogènes dans le continuum apparent pour justifier leur simplification par des valeurs moyennes représentatives.

Des itérations entre les logs de forage et le diagramme sont souvent nécessaires pour affiner le diagnostic. Dans une campagne pressiométrique bien menée (ou du moins avec un « remaniement normalisé » constant), des essais apparemment aberrants ou « hors nuage » peuvent ainsi apparaître et amener à revenir sur les procès-verbaux d’essais et les coupes lithologiques pour vérifier si ces anomalies ne décèlent pas des éléments de la structure du sous-sol qui n’étaient pas apparus évidents lors d’une analyse rapide des résultats.

Nous proposons au lecteur de se référer à des revues professionnelles où nous allons prochainement présenter en détail des exemples très significatifs.

4. Conclusions et perspectives

L’analyse des résultats de campagnes pressiométriques par l’utilisation du diagramme pressiométrique spectral présenté ici ne constitue qu’une petite pierre complémentaire à la méthode pressiométrique fondée par Louis Ménard, et perfectionnée depuis 50 ans par de nombreux apports théoriques et expérimentaux plus fondamentaux, tels que les courbes de frottement latéral en fonction de P*LM (Bustamante et Gianeselli, 1981). Elle apporte un éclairage nouveau sur la problématique ancienne de la détermination, ou plutôt l’évaluation, du coefficient rhéologique α, pour lequel nous espérons qu’elle puisse servir de support à un tracé de courbes d’isovaleurs de ce coefficient en fonction de PLM et EM/ P*LM, avec l’aide aussi bien de retours d’expérience de fondations instrumentées que de recherches théoriques.

5. Références bibliographiques

AFNOR (1992) Fondations profondes pour le bâtiment, P11-212 (ex DTU 13.2) Paris laDéfense.

Baud J.-P. (1991) Pressiométrie, “polycopié“ de cours de spécialité extérieure, Maîtrise de Sciences et Techniques, Université de Franche-Comté (non publié).

Bustamante M., Gianeselli L. (1981) Prévision de la capacité portante des pieux isolés sous charge verticale. Bull. liaison Labo. P. et Ch. ,113, ref. 2536

Lamé G. (1852) Leçons sur la théorie mathématique de l’élasticité des corps solides Bachelier, Paris

Ménard L., Rousseau J. (1962) L’évaluation des tassements, tendances nouvelles. Sols Soils, N°1, Paris

Ministère de l’Equipement, du Logement et des Transports (1993) Règles techniques de conception et de calcul des fondations des ouvrages de génie civil, Cahier des clauses techniques générales applicables aux marchés publics de travaux, Fascicule N°62, Titre V, Textes officiels, imprimerie nationale

Techniques Louis Ménard (1965) Règles d’utilisation des techniques pressiométriques et d’exploitation des résultats obtenus pour le calcul des fondations. Brochure D60 (traduction anglaise dans Sols Soils N°26, 1975).

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